Mes vacances, un premier resto, un cours magistral, et Arles
Il m’arrive souvent de commencer mes éditos par la mention « j’aurais pu ». Cela me permet d’évoquer des événements marquants dont je n’avais pourtant pas prévu de parler.
Pour ce premier édito de rentrée, j’aurais pu rappeler l’arbre hommage sectionné, les enfants refoulés, les voitures taguées, les slogans terroristes chantés, les personnes insultées, les institutions menacées…
Mais voilà. Je reviens d’un pays à l’histoire bouleversante, à la résilience admirable, à la délicatesse touchante, et je n’ai pas encore envie de me soucier de la violence de mon monde.
Au Rwanda, en plus d’être tombée amoureuse du long cou des girafes et de la croupe des zèbres au splendide parc d’Akagera,
en plus d’avoir frôlé un silver back de 220 kilos et d’avoir partagé une salade avec une jolie femelle végétarienne,
en plus de m’être aventurée à la frontière du Congo, dans la dense forêt de Nyungwe - à la recherche des chimpanzés qui se moquent encore de nous - , et sur l’immense lac Kivu dont la ligne d’horizon se confond à celle de l’eau,
en plus d’avoir appris à attendre relativement patiemment au restaurant, car ta soupe est faite minute et servie avec un sourire désarmant, et d’avoir testé tous les cafés de spécialité du pays,
en plus d’avoir rêvé le nez collé à la vitre pendant nos longues heures de route, fascinée par la beauté des paysages et la vigueur des paysans, montagnards intrépides aux vélos surchargés,
en plus d’avoir admiré le courage des femmes, maîtresses des champs et des maisons, solides héroïnes de la reconstruction et de la réconciliation,
en plus d’avoir rencontré nombre de personnes formidables engagées pour la mémoire, pour le développement, pour l’éducation,
en plus de m’être fait faire un pantalon en wax en moins de deux heures chrono,
j’ai saisi avec émotion - et une nécessaire distance - la terrifiante réalité du “génocide de proximité”.
Chaque mémorial, de Kigali à Nyamata, a été l’occasion de mesurer l’hallucinante “autorisation de tuer” ordonnée et minutieusement programmée par un appareil d’État. L’incompréhensible endoctrinement des bourreaux et l’insupportable souffrance des victimes. Chaque rencontre a été un pas de plus dans l’horreur. Chaque récit a questionné la folie meurtrière de la haine.
Le génocide des Tutsis au Rwanda a fait près d’un million de morts en 100 jours. Des voisins, des collègues, des parents, des amis, des enfants.
Il faut une justice pour condamner.
Une foi absolue pour pardonner.
Une figure tutélaire, fusse-t-elle décriée, pour lier.
Je ne vois, dans les conflits qui nous entourent, ni sauveur, ni réconciliateur, ni courageux.
Le terme génocide est élaboré par Raphael Lemkin, avocat juif polonais, qui, dès la fin de la Première Guerre mondiale, cherche à définir juridiquement un genre de crime répandu dans l’histoire, mais encore hors de portée du droit.
C’est seulement après la Seconde, en 1944, dans un ouvrage intitulé Axis Rule in Occupied Europe, qu’il invente le terme « génocide », un néologisme formé à partir du grec genos (“naissance, race”) et du latin caedere (“abattre, tuer”).
Il en propose cette définition : “La destruction d’une nation ou d’un groupe ethnique visé en tant qu’entité” par le moyen de “différentes actions visant à détruire les fondements essentiels de la vie des groupes nationaux.”
Toujours une belle maison
Le groupe Pantruchoise, continue son petit bonhomme de chemin, avec régularité et discrétion.
Ses cinq établissements, idéalement disséminés dans le 9e central, font la part belle aux plats bistrots et au répertoire classique, modernisé juste ce qu’il faut.
Leur Belle Maison, qui jouait sur l’iode, est devenue Le Savarin. Même déco, même tranquillité, l’épaule d’agneau et le tartare au couteau en prime.
En entrée, le remarquable pâté en croute est un modèle du genre ; le gravelax de mulet anoblit ce poisson sous-estimé, et les cannelloni de crabe apportent de la fraicheur.
On a évidemment choisi le vol-au-vent de lotte, savoureux et caressant, qui nourrit bien une affamée ou deux gringalettes. Et le lieu jaune, évidemment de ligne.
En dessert des abricots rôtis au romarin, crème fontainebleau.
Excellent, plaisant, accessible, généreux, créatif, traditionnel.
Tout bien.
Le Savarin
4 rue de Navarin Paris 9
Ouvert 7/7 - Carte 50-60€
Autres établissements : Le Pantruche, Caillebotte, Coucou Café, Café Mirette (au sein de la très belle Fondation Pernod-Ricard)
Après le procès de Nuremberg, Raphael Lemkin se tourne vers la plus grande instance interétatique garante du droit international : la toute récente Organisation des Nations unies. Le 9 décembre 1948, son Assemblée adopte une Convention internationale sur la prévention et la répression du crime de génocide. L’article 2 précise : “Le génocide est commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux en tant que tel.”
Cette approche, plus restrictive que ne l’envisageait Lemkin, exclut les crimes ciblant l’appartenance politique, la classe sociale ou encore l’orientation sexuelle, les magistrats lui préfèrant l’accusation de crime contre l’humanité, dont la définition est plus large.
À ce jour, l'ONU reconnaît :
- le génocide Arménien perpétré par l’Empire ottoman entre 1915 et 1916. Ce n’est qu’en 1985 qu’une sous-commission des droits de l’homme de l'ONU le qualifie de “premier génocide du XXe siècle”. Medz Yeghern (“grand crime”) ou Aghet (“catastrophe”) entraîne la mort de 1,2 million d’Arméniens, soit plus des deux tiers de la population arménienne ;
- le génocide des Juifs, déportés et assassinés par les nazis. La Shoah (“catastrophe”) ou Holocauste (“sacrifice par le feu”) fait 6 millions de morts, soit 60% de la population juive d’Europe ;
- celui des Tutsi, massacrés au Rwanda au printemps 1994. Les exécutions de proximité font près d’un million de mort en seulement trois mois, d’avril à juillet ;
- en mai 2024, l’ONU a voté une résolution visant à définir le massacre de Srebrenica comme génocide. 8 000 hommes et adolescents bosniaques, non-combattants en majorité musulmans, ont été exécutés en quelques jours par les forces serbes en 1995 ;
- en 2018, un tribunal soutenu par l’ONU a condamné deux anciens dirigeants Khmers rouges pour génocide. Entre 1975 et 1979, 2 millions de Cambodgiens avaient trouvé la mort.
Au-delà des décisions onusienne, les gouvernements utilisent le terme de génocide pour qualifier certains faits qu’ils ont subis ou commis. Ainsi, l’Allemagne a reconnu, en 2021, avoir perpétré un génocide contre les Nama et les Herero de Namibie au début du XXe siècle.
Il est aujourd’hui courant de se référer au génocide, comme si les autres catégories juridiques ou conceptuelles ne suffisaient plus. Pourtant, les crimes de guerre, crimes contre l’humanité, les épurations ethniques, ethnocides, politicides, ou les violences de masse, ne sont ni moins condamnables, ni moins dégueulasses.
Quand tout devient génocide, plus rien ne l’est.
Celles et ceux qui seraient tentés d’aller passer deux jours à Arles, à l’occasion des Rencontres de la Photographie, ou simplement pour prolonger l’été, trouveront ici une petite note de voyage.
Allez, bonne rentrée aux courageux et aux optimistes.
Puissiez-vous être nombreux et bruyants.