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Aujourd’hui, je suis ennuyée, je ne sais pas quoi écrire… Pour être plus exacte, je ne sais pas ce qu’on souhaite que j’écrive. Quelqu’un m’a dit que j’écrivais “profondément avec ma tête et avec mon cœur”. D’autres me reprochent d’aller trop loin, de m’éloigner de mes fondamentaux - des ris de veau et des expos - et de prendre parfois des positions excessives. Mea culpa. La sauvagerie inouïe du 7 octobre m’a rendue sombre et pugnace, la libération de la parole antisémite m’a rendue combative, et l’utilisation de mots galvaudés, les contre-vérités, les fausses cartes, les définitions douteuses, les tweets abjects m’ont rendue militante. D’ordinaire tolérante et compatissante, me voilà devenue résolue et implacable. Je ne laisse plus rien passer. Je manifeste, je conteste, je résiste. Mea culpa. Si je reconnais qu’il y a deux narratifs, si j’admets qu’à l’heure des réseaux sociaux et de l’IA, il n’y a de vérités que celle que l’on se choisit, si je sais que si je n’étais pas d’un côté, je serais peut-être de l’autre, si je reste farouchement pour la paix, si je condamne les visions extrémistes et les calculs politiques de convenance, je ne peux m’empêcher de voir leurs visages : ceux des danseuses en mini-jupes embarquées sur des pick-up, celui d’un rouquin de moins d’un an, ceux de gamins venus danser en paix. Et je ne peux m’empêcher de voir les autres, assouvis, réjouis, obscènes. Mea culpa. Je pleure les morts, tous les morts. Mais je me félicite de la disparition des faiseurs de mal. Mea culpa. Je m’insurge contre ceux qui pensent que je pense que... Contre ceux qui m’assimile à... Contre ceux qui m’exposent à l’aigreur insoumise. Je suis hargneuse envers les fouteurs de merde, les débiles de la république, les indécents, les couillons qui se cachent derrière l’anonymat. Mea culpa. Je souhaiterais que la laïcité soit gravée dans le marbre. Que les lois de la République soient sacralisées. Que ceux qui la menacent soient condamnés à l’évoquer, à l’adopter. Je m’inquiète des dérives d’une pensée étroite et chaste, et de la montée des extrêmes qui en découle. Mea culpa. Je refuse les falsifications de l’histoire, l’interprétation frauduleuse selon laquelle la création d’un État Juif ne serait que le fruit d’une “gentillesse occidentale”, culpabilisée par la Shoah. Le sionisme n’est ni un colonialisme, ni une usurpation. Il y a de la place pour deux peuples désireux de vivre ensemble en amitié et dans le respect de l’autre. Mea culpa.
Oh la la !
Quel bonheur de se retrouver face à ces quatre têtes blanches : Giuseppe Penone, Michelangelo Pistoletto, Gilberto Zorio, Pier Paolo Calzolari. Quatre dinosaures de l’art, quatre protagonistes majeurs de l’Arte Povera. “C’est une occasion extraordinaire d’être ici avec les copains encore vivants ! Certains nous ont quittés, physiquement, mais leur art a survécu. L’Arte Povera dépasse l’existence. C’est ce que nous étions avant, et ce que nous serons après, à travers ce que nous sommes” précise Pistoletto - avec l’accent.
Apparu dans les années 60, dans une Italie en ruines et fragilisée, l’Arte Povera - qui ne portera son nom qu’en 1967 - est une attitude plus qu’un mouvement. Une attitude socialement engagée, construite en réponse à l’Art minimal, qui défie la société de consommation, traduit le vivant et établit un geste à la fois éthique et esthétique. Les installations, souvent simples visuellement, sont complexes dans leur conception et dans leur scénographie. L’énergie de l’Arte Povera réside dans les matériaux utilisés, dans leur placement au sein des espaces d’exposition et dans la relation qu’elles instaurent avec le visiteur. Véritable médiation entre nature et public, les œuvres se veulent sensibles et compréhensibles. Révolutionnaires aussi. Comme son nom ne l’indique pas, l’Arte Povera n’est pas un art pauvre, mais accessible, tangible et surtout contestataire et libre.
Grâce à la commissaire Carolyn Christov-Bakargiev, spécialiste reconnue de l’Arte Povera, gà la splendide collection Pinault, et aux prêts consentis par les musées et autres collections privées, la Bourse de Commerce s’immerge littéralement dans ce mouvement artistique magnifiquement transalpin.
La rotonde, véritable encyclopédie à ciel ouvert, rassemblent 30 œuvres emblématique, et se suffit à elle-même. Dans les salles d’expositions, treize artistes de l’Arte Povera sont mis à l’honneur. En plus des précités, on retrouve les installations de Alighiero Boetti, Giovanni Anselmo, Mario et Marisa Merz, Giulio Paolini… C’est Gilberto Zorio qui se colle au sous-sol dans une ambiance caverneuse parfaitement imaginée. Et comme si tout cela ne suffisait pas, les vitrines exposent les œuvres de ceux qui ont inspiré l’Arte Povera et ceux qui s’en sont inspiré - David Hammons, William Kentridge, Jimmie Durham, Pierre Huyghe, Mario Garcia Torres…
Il n’y a finalement pas un parcours, mais trois, voire quatre, et l’immersion est aussi passionnante qu’exceptionnelle. Comptez une demi journée de visite, ou revenez trois fois. Ou faites les deux.
Arte Povera Bourse de Commerce jusqu’au 20 janvier 2025
Maison Brut
Passé entre les mains expertes de Jean-Luc Rocha au Saint James, Thierry Marx au Sur Mesure, Mory Sacko chez MoSuké,et Jean Imbert au Plaza, c’est enfin tout seul que Bastien Djait installe sa Maison Brut, dans un 9e bistronome. Et s’il a déjà comme objectif “de changer toute la déco, surtout les chaises…”, ce chef, fan de Chartreuse, a surtout l’ambition de décrocher une étoile. Il faut dire que ce que nous avons dégusté ce midi-là augure le meilleur.
Les lentilles vertes, tout juste croquantes, se mêlent à l’oignon doux pour une entrée soyeuse. La volaille, cuite en deux façons, dont l’une dans une feuille de maïs, est fondante, la cameline - sorte de graine de sésame, lui donne un goût végétal délicat. Le jus, laissé sur table, se déguste à la cuillère. Le cabillaud nacré s’accompagne de végétaux iodés et d’un beurre blanc allégé, qui reste lui aussi sur table, mais pas pour longtemps… Le dessert, poire oseille, sumac, clôture très fraichement le repas. Pas de café, le chef fait dans le local, mais une céréale torréfiée qui marche bien.
Aux dires de Bastien, ce n’est pas encore “tout à fait à niveau” et ça devrait “encore monter de quelques crans”. On reviendra donc gravir ce nouveau col.
Maison Brut 18 rue d'Abbeville 75009 Paris Fermé dimanche et lundi