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Par Karine Salomon
29 mars · 3 mn à lire
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Mon Angoisse et moi

La coquine m'a réveillée, Hélion et Jeanne Aimée aussi


Ce matin lorsque je me suis réveillée, mon Angoisse était assise à mes côtés.
Elle me regardait d’un air narquois, admirant le résultat de son travail soigné qui marque d’une ombre bleue mes paupières.

Il parait que j’avais parlé pendant mon sommeil.
Quelque chose sur un proviseur contraint à la démission après une campagne de harcèlement et des menaces de mort proférées à son encontre sur les RS.
À l’évocation de ce dramatique incident, mon Angoisse en remet une couche, “remise en cause des principes fondamentaux de laïcité, rejet des lois de la République, cyber-harcèlement, ce n’est malheureusement pas nouveau !”.
Je lui rétorque que Gabriel Attal, en enjoignant l’État à porter plainte contre la jeune femme calomnieuse, fait enfin preuve d’une sévérité salutaire.
“Salutaire mais tardive et sans unanimité de l’ensemble du corps éducatif” me rétorque mon Angoisse, lucide.

Pour étayer ses propos, cette roublarde me tend mon téléphone sur lequel 356 messages WhatsApp s’affichent, les trois-quarts renvoyant à des publications aux commentaires gracieux comme “sale pute, on va te violer toi et tout ton peuple” ou “depuis le 7 octobre vous vous faites pipi dessus, morte de rire” ou encore “entité sioniste, chiens galeux, on va finir ce que tonton H a commencé”.
Sur ce dernier point, je fais remarquer à mon Angoisse, que c’est au moins la reconnaissance de fait de la Shoah par les antisémites et les islamistes. Un négationnisme de moins…

Mon Angoisse me sort alors, fière de son coup, le communiqué du “Comité Palestine” de Dauphine prônant la “lutte contre la colonisation” et exigeant “un cessez-le-feu immédiat”, sans bien entendu faire la moindre mention des 134 otages toujours retenus depuis 174 jours.
Et m’assène un bon uppercut, en me balançant sous le nez le vote de la résolution 2728 de l’ONU réclamant elle aussi, et avec finalement aussi peu de poids que le comité de Dauphine, mais avec abstention remarquée des États-Unis, “un cessez-le-feu immédiat, la libération des otages sans condition (lol) et la garantie de l'accès humanitaire à Gaza”.
ONU qui, doit-on le rappeler, s’est empressée de condamner l’atroce attentat islamiste de Moscou, sans JAMAIS condamner l’attaque terroriste du 7 octobre et n’avoir JAMAIS identifié le Hamas comme unique responsable d’une guerre qui mérite ô combien de se terminer.

Et comme si je n’en avais pas assez entendu, mon Angoisse arbore fièrement le 8766e post de Thomas Portes, député malveillant, exigeant l’annulation d’une conférence accueillant deux officiers de l'armée israélienne. “Quoi ? Des représentants de cet état colonisateur, oppresseur, génocidaire seraient sur notre sol et pourraient diffuser une parole vraie ?”. Vade retro…
Ils pourraient donner une version factuelle et documentée de ce qui se passe réellement depuis le 7 octobre.
Ils pourraient décrire avec détails inentendables les actes d’horreurs perpétrés avec fierté et préméditation. Revenir sur les exclamations de joie poussées au passage des otages, les crachas sur les corps dénudés et meurtris, les célébrations mondiales.
Ils pourraient décrire le Gaza sous-terrain, les centaines de kilomètres de méandres construits au dépit de toute considération civile et humanitaire. Les milliards européens engloutis à 75 m de profondeur.
Ils pourraient avoir l’honnêteté intellectuelle de reconnaitre les complexités de la société israélienne qui n’a pas attendu l’analyse de Natacha Polony pour remettre en question les orientations de ses dirigeants.

Je vais refermer les yeux et avec un peu de chance mon Angoisse aura pris connaissance du dernier sondage des intentions de vote aux Européennes qui crédite LFI de seulement 6% des voix.
Mais le RN de 31%… Il y a des chances que je ne me réveille plus.


NDLR. A l’instant où j’écris ces lignes, j’apprends qu’Aymeric Caron s’insurge contre les “injures, calomnies et menaces” dont il fait l’objet, et que les “condamnations tombent”. Je l’attends.


Jean le complexe

On a beau parcourir les expositions, on est parfois surpris par l’intelligence du propos artistique.
C’est le cas avec cette nouvelle grande exposition du Musée d’Art Moderne consacrée à Jean Hélion.
Car si l’on connaissait (imprécisément) le travail d’Hélion, on ne mesurait pas l’incroyable complexité de son œuvre, d’abstraction en figuration. De l’expression d’un courant artistique, à l’expression de sa réalité.

Membre du collectif Abstraction-Création qui rassemble les représentants de l’art abstrait entre les deux guerres, Hélion s’installe en 1934 aux États-Unis où il devient l'un des acteurs les plus importants de l'abstraction - ses premières toiles, magnifiques, sont largement influencées par l’orthogonalité de Mondrian et les formes de Calder et Arp.
C’est en 1939 que Jean Hélion se détourne de l’abstraction pour s’intéresser davantage à la figure humaine et à la réalité. Il dira de ce retour à la figuration qu’il “s’est imposé à lui, de façon involontaire”.

Hélion, tombé dans l’abstraction à la recherche d’une réalité visuelle cachée, signes, taches et structures, se réveille dans un monde bouleversé par la guerre et dont la réalité mérite pour lui d’être reproduite.
Engagé puis fait prisonnier en 1940, il écrit le récit de son évasion They Shall Not Have Me, et opte pour un style d’une liberté déconcertante. Ses tableaux tantôt proches de la caricature ou de la BD, d’inspiration cubiste, colorés, surréalistes sont troublants de sensibilité.

Devenant progressivement aveugle, Hélion peint de mémoire les motifs et les corps qui l’ont inspirés.
L’exposition se termine sur un autoportrait adorablement émouvant de 1981.
“Je crois que l’œuvre doit éveiller le public, le réveiller, l’animer, l’intéresser, l’amuser, lui donner du plaisir, de la joie, sans cesser d’être intérieure”.

Jean Hélion, La Prose du Monde
Musée d’Art Moderne
Jusqu’au 18 août 2024


Jeanne toujours aimée

Nous avions testé le restaurant Jeanne Aimé tout au début, autour d’un concept particulier, et comme souvent, nous n’y étions pas retourné, trop occupés à en découvrir d’autres.
C’est chose faite, avec un plaisir renouvelé.
La carte a gagné en lisibilité, les produits toujours sourcés par l’épicerie Humphris sont de saison et de grande qualité, et le chef Sylvain Parisot exprime de la délicatesse et de la profondeur.
On s’est régalé des premières asperges vertes au bbq, mayonnaise aneth beurre noisette, œufs mollets, kumquat.
Du tartare de veau au couteau, sauce tonnato fumée, cacahuètes.
Des gnocchi de pomme de terre, sabayon romarin, pomelo, navets croquants.
Et de l’étonnant et délicieux dessert signature, le vacherin, sorbet tagète, crème crue fumée, bonbons de betteraves, pignons de pin.

Le site internet précise “cuisine bistronomique”, mais on ne sait plus très bien où se situe la limite entre bistro et gastro tant le niveau est élevé - et les prix, largement justifiés, déjà conséquents.
Vive la gastrobistronomie !

Jeanne-Aimé
3 rue Bourdaloue Paris 9

Fermé samedi et dimanche - Carte 60€ (menu déjeuner EPD 42€)